Décryptage : pourquoi Arteta, l'entraîneur d'Arsenal, a changé de gardien
Depuis le 17 septembre, Mikel Arteta, l'entraîneur d'Arsenal, a décidé de titulariser David Raya dans les buts, aux dépens d'Aaron Ramsdale. Avant le déplacement à Lens ce mardi (21 h), zoom sur ce choix fort mais attendu.
Mikel Arteta a décidé de titulariser David Raya dans les buts d'Arsenal. (L'Équipe)
Matthias Ribeiromis à jour le 2 octobre 2023 à 17h11
Le football se transforme au fil des saisons mais un dilemme semble persister à travers les évolutions : la gestion du poste de gardien de but. La majorité des entraîneurs sont favorables à l'instauration d'un numéro un clair et défini afin de mettre le portier dans des conditions mentales optimales, tandis que d'autres instaurent une concurrence pour tenter de tirer le maximum de chaque individualité, comme s'il s'agissait de joueurs de champ.
À ce niveau, la position de Mikel Arteta est claire : « quel que soit le poste, il n'y a aucun numéro un. » Un parti pris fort que la Premier League avait déjà pu observer la saison passée lorsque Roberto De Zerbi, coach de Brighton, avait rétrogradé Robert Sanchez mi-février pour promouvoir Jason Steel, plus adapté au football des Seagulls grâce à ses qualités sous pression.
Une situation similaire à celle d'Arsenal aujourd'hui : depuis le 17 septembre, Arteta a installé David Raya dans les cages, aux dépens du titulaire des deux dernières saisons, Aaron Ramsdale. L'ancien milieu de terrain avait été transparent quant aux raisons motivant la venue de David Raya, prêté par Brentford cet été : « David Raya va apporter des meilleures qualités pour notre modèle de jeu, c'est très simple. »
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Un choix appuyé par les chiffres
L'an dernier, Raya avait contribué à faire de Brentford la cinquième défense du Championnat (46 buts encaissés, à égalité avec Aston Villa), montrant son efficacité sur sa ligne ainsi que son agilité pour distribuer.
Si l'on compare ses statistiques aux gardiens du top 5 de Premier League la saison passée (Ederson, Ramsdale, De Gea, Pope et Alisson), Raya est celui qui a le pourcentage d'arrêts sur les tirs cadrés subis le plus élevé (77,7 %, contre 70,6 % pour Ramsdale). De la même manière, Brentford a subi 51,45 expected goals au total pour 46 buts encaissés. Un chiffre qui indique fatalement le manque de réalisme adverse mais qui peut aussi être attribué à la forme de l'Espagnol sur sa ligne.
Au pied, la différence s'accentue encore un peu plus. Deuxième gardien du lot derrière Alisson (1199), Raya surpasse largement le nombre de passes effectuées dans le jeu (1181) d'Aaron Ramsdale (872), preuve d'une implication collective supérieure autant que de l'appartenance à une équipe plus modeste qui joue davantage dans sa moitié de terrain.
Si l'on compare ses quatre premiers matches avec Arsenal (contre Everton, le PSV, Tottenham et Bournemouth) avec les six rencontres toutes compétitions confondues disputées par Ramsdale cette saison, la comparaison est sans appel. Raya affiche 82 % de tirs cadrés arrêtés quand l'Anglais culmine à 71 %. Il a touché plus de ballons (184 contre 122), réussi plus de passes (153 contre 95), et ces dernières ont parcouru plus de mètres (17,5 en moyenne, contre 14,3). Le tout pour un temps de jeu largement inférieur (360 minutes disputées contre 540).
Des qualités plus adaptées
Avec Raya, Mikel Arteta possède désormais son gardien protagoniste, à l'instar d'Ederson à Manchester City ou de Brice Samba au RC Lens, qu'il retrouvera mardi à Bollaert. Plus à l'aise pour contrôler, s'organiser rapidement et jouer long ou plein axe vers Rice ou Zinchenko avec précision, David Raya offre à Arsenal des options plus fluides qu'Aaron Ramsdale pour ressortir le ballon. L'Espagnol est capable de s'orienter rapidement après avoir été servi afin de toucher directement le joueur libre quand l'Anglais, plus vulnérable face au pressing, doit souvent imposer une étape supplémentaire, ce qui peut parfois coûter cher au moment de créer certains décalages. La sortie menant à Ben White, régulièrement empruntée par Arsenal à la relance, semble notamment bien plus efficace lorsqu'elle est orchestrée par David Raya.
(1/2) Everton presse en nombre, imposant un 5 contre un 5 face à la relance d'Arsenal. Touché par Gabriel, Raya s'oriente alors rapidement avec la semelle...
(2/2) ... avant d'alerter directement le joueur libre à l'opposé dans la zone laissée par le pressing des Toffees. Ben White peut ensuite avancer.
(1/2) De son côté, Ramsdale a besoin de plus de temps et de précaution. Face au 4 contre 4 de Manchester United, il est touché par Gabriel et, plutôt que de servir White rapidement, touche Saliba via un jeu court en lui indiquant que le latéral droit est libre.
(2/2) Une étape qui permet aux Red Devils de coulisser. Martial sort ainsi sur Saliba, ce qui permet à Rashford de venir fermer le côté sur la prise de balle de Ben White.
Facilitateur de jeu, David Raya est aussi capable d'emprunter des routes qu'Aaron Ramsdale ne peut voir ou atteindre. Parce que ses pieds sont plus précis et qu'il ose plus se mettre en difficulté, l'Espagnol offre un plus large panel d'options à son équipe. Face au pressing, Raya peut notamment l'affronter pour tenter d'aider son équipe à le fracturer ou à allonger avec précision afin de le contourner.
(1/2) Pressé par Son, Raya, droitier, s'oriente sur son pied gauche et claque une passe exceptionnelle vers Gabriel Jesus...
(2/2) ... le pressing des Spurs est sauté, l'attaquant brésilien peut jouer dos au but vers Fabio Vieira. Arsenal peut alors potentiellement enchaîner sur une attaque rapide.
(1/2) Ramsdale, lui, est moins à l'aise sous pression. Parce qu'il ne s'oriente jamais avec la semelle dans ces situations-là (ce qui l'ampute d'une certaine maîtrise du ballon) et qu'il ne prend pas toujours les bonnes informations. Ici, il s'oriente sur son pied fort alors que le côté gauche est déserté...
(2/2) ... et tarde à s'organiser sous la pression, jusqu'à se faire contrer.
En plus d'une exécution de meilleure qualité et une clairvoyance supérieure, David Raya offre des options supplémentaires aux Gunners dans l'occupation du terrain. Par sa disponibilité, son courage et sa justesse dans le jeu mi-long et long, l'Espagnol parvient à s'insérer dans le champ lorsque le jeu le demande.
Pressé en égalité numérique par Tottenham, David Raya se déplace pour se rendre disponible entre Saliba et Gabriel, ses défenseurs centraux. Il permet à Arsenal de disposer d'un +1 précieux à la relance.
(1/2) Le courage, la qualité et la disponibilité de David Raya permettent aussi à Arteta de le faire évoluer très haut, afin d'empêcher toute contre-attaque adverse et de permettre d'installer les Gunners dans le camp adverse. D'autant plus quand il montre autant d'aisance dans le jeu long...
(2/2) ... ici, il trouve Bukayo Saka d'une transversale extraordinaire pour le mettre dans une situation qu'il affectionne.
La modernité de Mikel Arteta
« Je n'ai pas beaucoup de regrets sur ma carrière d'entraîneur. L'un d'entre eux est qu'à deux reprises, j'ai senti après 60 et 85 minutes, durant deux matches, qu'il fallait changer de gardien. Mais je n'ai pas eu le courage de le faire, alors que je suis capable de changer un ailier, un attaquant ou un défenseur central pour passer à cinq et tenir un résultat. Nous avons fait deux matches nuls et j'étais très malheureux. Un jour, quelqu'un va le faire et peut-être que ce sera la surprise. Pourquoi pas ? Nous avons toutes les qualités chez un autre gardien pour faire bouger les choses quand vous voulez changer de dynamique. Il faut le faire. »
« Nous avons toutes les qualités chez un autre gardien pour faire bouger les choses quand vous voulez changer de dynamique. Il faut le faire. »
Mikel Arteta
Les mots de Mikel Arteta après le match à Everton et la première titularisation de David Raya témoignent d'un raisonnement inhabituel. Mais ils invitent à la réflexion. « C'est quelque chose qui s'est toujours fait comme ça (d'avoir un numéro un et un numéro deux), mais je ne peux pas avoir deux joueurs comme ça au même poste et ne pas les faire jouer », ajoute l'Espagnol. Il considère le portier comme un joueur à part entière, qui peut entrer ou sortir du onze avec autant de facilité que les joueurs de champ et qui gagne à avoir un profil différent de son ou ses concurrents afin de se distinguer et de s'adapter à des situations diverses.
Est-ce un discours de façade pour relativiser la relégation de Ramsdale sur le banc ou une véritable réflexion sur l'évolution du poste de gardien de but ? Est-il possible de voir un portier plus à l'aise sur sa ligne dans une rencontre où ses cages seront plus exposées et un autre aligné face à un pressing plus prononcé ou pour tenter d'exploiter son jeu court, long et sous pression ? Les questions sont posées, les réponses risquent toutefois de prendre du temps à se dessiner. D'autant que dans le football, comme partout ailleurs, les habitudes ont la vie dure. Quoi qu'il en soit, la première mission du gardien de but est et restera toujours de faire des arrêts, et là aussi, David Raya sait y faire.